En France, moins de 2 % des propriétaires détiennent près de 40 % des surfaces agricoles. Les sociétés, collectivités et personnes morales se partagent une part croissante du foncier, au détriment des exploitants individuels. Cette concentration s’accentue discrètement, malgré les dispositifs de régulation mis en place depuis l’après-guerre.
La pression sur les terres s’intensifie sous l’effet des stratégies d’investissement, des politiques publiques et des besoins alimentaires. Derrière la diversité des statuts, une cartographie du pouvoir foncier se dessine, révélant des enjeux majeurs pour l’agriculture, l’environnement et la société.
Qui possède les terres agricoles en France ? Panorama des principaux acteurs
Oubliez l’image d’un pays où chaque agriculteur règne sur ses champs. La réalité de la propriété foncière en France s’écrit autrement : près de 27 millions d’hectares de terres agricoles, partagés entre des millions de propriétaires, mais en vérité dominés par une minorité. Plus de 3 millions de propriétaires privés apparaissent au cadastre, mais la détention réelle est loin d’être aussi dispersée.
Les exploitants agricoles individuels forment toujours le socle de ce système, même si leur nombre s’érode d’année en année. Ces propriétaires privés, souvent issus de dynasties rurales, voient peu à peu leur place grignotée par des modes de détention collectifs ou sociétaires.
Les sociétés agricoles s’imposent aujourd’hui comme des acteurs majeurs. Qu’il s’agisse de groupements fonciers agricoles (GFA), de sociétés civiles d’exploitation (SCEA) ou de holdings familiales, ces structures permettent à un cercle restreint de décisionnaires de réunir parfois plusieurs milliers d’hectares. La multiplicité des actionnaires dissimule la consolidation en cours.
De leur côté, l’État et les collectivités publiques possèdent toujours près de 1,5 million d’hectares, principalement sous forme de forêts domaniales ou de terres gérées par des établissements publics, comme la SAFER ou des conservatoires. Leur influence reste modeste par rapport au secteur privé, mais leur intervention dans la régulation du foncier pèse sur l’organisation générale.
Le dernier rapport sur la propriété des terres le montre clairement : moins de 2 % des propriétaires concentrent près de 40 % des surfaces. Cette évolution, alimentée à la fois par la financiarisation, la transmission familiale et les obstacles rencontrés par les jeunes pour accéder à la terre, creuse les écarts.
Concentration foncière : quels impacts sur l’agriculture, l’environnement et la société ?
La concentration foncière redessine les campagnes françaises en profondeur. Derrière l’apparente diversité des propriétaires fonciers, les leviers réels se resserrent dans peu de mains, souvent discrètes, qui décident de l’usage de vastes étendues. Cette transformation bouleverse l’agriculture : les exploitations grossissent, les petites structures s’effacent, l’accès à la terre pour une nouvelle génération d’agriculteurs devient un véritable parcours d’obstacles.
Le rapport sur la propriété des terres en France met en lumière la tension entre deux modèles : celui de l’exploitation industrielle, et celui du patchwork familial. La façon dont la propriété foncière est répartie oriente les pratiques agricoles, influe sur la diversité des cultures, la rotation des parcelles et la préservation des sols. Quand la terre se transforme en produit financier, la logique de souveraineté alimentaire recule devant l’exigence de rendement immédiat.
Les conséquences sur l’environnement sont tangibles. La spécialisation des grandes exploitations favorise la monoculture, réduit les haies, appauvrit les sols. La biodiversité s’érode, les pollutions diffuses se multiplient. Les décisions majeures sur l’usage des terres échappent de plus en plus à l’échelle locale, ce qui nourrit un sentiment de dépossession dans bien des territoires.
Trois effets majeurs de cette concentration méritent d’être soulignés :
- Accès au foncier : verrouillé pour celles et ceux qui souhaitent s’installer.
- Dynamique rurale : freinée par la raréfaction des exploitations à taille humaine.
- Transparence : fragilisée par l’opacité des sociétés détenant des terres via des parts sociales.
Le besoin de transparence entre la propriété et l’usage des terres s’impose. Qui décide réellement du sort de ces hectares ? Au nom de quels intérêts ? Ce débat traverse syndicats, associations et institutions publiques. La concentration actuelle façonne le visage de l’agriculture française de demain et questionne l’autonomie des territoires.
Grandes entreprises, investisseurs et nouveaux enjeux de la propriété rurale
Le paysage foncier français attire désormais des acteurs inattendus. Les groupes industriels et investisseurs institutionnels s’invitent à la table, achetant ou gérant d’immenses propriétés agricoles. Les grandes entreprises ne se contentent plus de jouer un rôle d’acheteur ou de fournisseur : elles deviennent aussi propriétaires et gestionnaires de terres. Le groupe Louis Dreyfus, par exemple, contrôle à lui seul plusieurs milliers d’hectares, directement ou par le biais de filiales.
Cette tendance se manifeste à travers la multiplication des sociétés agricoles et des structures d’exploitation qui échappent parfois à l’œil des régulateurs. Les montages juridiques, sociétés civiles et holdings, ainsi que les transferts de parts sociales, rendent la propriété foncière de plus en plus difficile à cartographier. Là où le cadastre affichait autrefois un nom de famille, il indique désormais une raison sociale.
L’intérêt des investisseurs pour le foncier prend racine dans la raréfaction des terres disponibles, la recherche de rentabilité et, pour certains, une volonté affichée de « propriété foncière responsable ». Des associations et quelques collectivités, comme Terre de Liens, œuvrent pour une gestion durable, mais la multiplication des acteurs privés rebat les cartes. La gouvernance des terres évolue, soulevant la question de l’influence réelle des territoires sur l’usage agricole.
Quelques tendances structurantes émergent :
- Les groupes industriels étendent leur emprise, accélérant la concentration des surfaces.
- La montée en puissance des sociétés agricoles complexifie la régulation et brouille la lisibilité du marché foncier.
- La notion de propriété foncière responsable prend de l’ampleur dans le débat public.
Transparence, régulation et mobilisation citoyenne : vers une gestion plus équitable du foncier
La question de la transparence sur la propriété et l’usage des terres reste entière. Les transferts de parts sociales au sein des sociétés agricoles rendent l’identification des détenteurs réels de plus en plus ardue. Les registres publics n’arrivent pas à suivre le rythme de ces changements, ce qui favorise la concentration et freine un débat démocratique éclairé sur la gestion foncière. Les instances de régulation, à l’image des SAFER, luttent contre la spéculation et tentent de redistribuer le foncier, mais leurs moyens apparaissent souvent insuffisants face à la complexité des montages juridiques.
La nouvelle loi d’orientation et d’avenir agricole vise à renforcer les obligations de transparence, tout particulièrement lors des transferts de parts sociales, afin d’encourager une gouvernance plus démocratique des terres agricoles. Mais la diversité des acteurs et la sophistication des stratégies de contournement rendent l’application de ces mesures délicate.
Face à ce constat, des initiatives citoyennes émergent. Des associations comme Terre de Liens se mobilisent pour retirer des hectares du marché spéculatif et permettre l’installation de nouveaux agriculteurs. Leur action, encore marginale, pose la question de l’accès à la terre, d’une répartition plus équitable et du maintien de la souveraineté alimentaire. Ce débat dépasse la simple question de la propriété : il engage l’avenir même de l’agriculture française et la capacité collective à choisir le visage des campagnes de demain.
Le foncier agricole, loin d’être un simple actif, cristallise des choix de société. Reste à savoir si la France saura préserver l’équilibre entre vitalité rurale, solidarité et ambition collective, ou si le pouvoir de décider du sort de ses terres échappera pour de bon à ceux qui les font vivre.

